top of page

PARITÉ DES REVENUS DANS LE SURF PROFESSIONNEL:

UNE ÉVOLUTION FORCÉE ?

Le 5 septembre 2018, la ligue mondiale de surf professionnel (WSL) fait une annonce soudaine: la parité des revenus entre les hommes et les femmes sera mise en place à partir de la saison 2019. Une nouvelle qui révolutionne le monde du surf et qui inspirera de futures générations de surfeuses. Souvent idéalisé, le surf n'est pas le sport parfait et a aussi des défauts. Alors, pourquoi et comment la parité des revenus a-t-elle abouti dans le surf professionnel ? 

GE1 (1 sur 1).jpg

Tatiana Weston-Webb, surfeuse brésilienne professionnelle | Hossegor, France - 2018  |  Photo: Théo Vidal ©

  La parité des revenus hommes/femmes n’est pas une norme dans le sport de haut niveau professionnel. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce problème. Selon Franceinfo, l’élément principal de cette observation est médiatique et économique. En effet: « Le sport féminin ferait moins d’argent et moins d’audience que le sport masculin.» Le média français donne un exemple pour illustrer ces propos en comparant le coût des droits de retransmission télévisée de la ligue de football professionnel masculine (Ligue1 et Ligue2) et féminine (Division1): « La Ligue de football professionnel française coûte 748,5 millions d’euros par an, contre un peu plus d’un million d’euros pour la première division féminine.» Des chiffres qui montrent bien l’écart d’investissement entre le sport masculin et féminin: « Qui dit moins de valeur économique dit moins de médiatisation, moins de sponsors, moins de partenariats marketing et merchandising.» 

 

Cela justifierait-il le fait que les hommes soient mieux payés que les femmes dans le sport professionnel ? Là encore, les chiffres parlent. Dans plusieurs sports majeurs en France (football, rugby et basketball) l’écart des salaires est conséquent.

Cette infographie montre bien que le problème est réel: l’inégalité des revenus est un soucis depuis que les femmes sont rentrées sur le marché du sport professionnel. Cependant, il existe des cas à part qui prouvent que, même si la parité des revenus n’est pas une norme aujourd’hui, elle est possible et sera sûrement quelque chose de normal dans les années à venir. Le tennis est un très bon exemple. En effet, l’égalité des revenus entre hommes et femmes est apparue en 1973 avec l’US Open. Depuis elle est établie sur l’ensemble des tournois du Grand Chelem (Roland-Garros, Wimbledon, US Open et Open d’Australie). De plus, les sélections de football féminines des Etats-Unis et de Norvège ont les mêmes revenus que leurs homologues masculins. Mais l’évolution la plus récente en terme de parité des revenus dans le sport professionnel se présente dans le surf. La ligue mondiale de surf professionnel (WSL) a décidé d’évoluer. Le 5 Septembre 2018, elle annonce l'égalité des revenus, plus exactement des primes de compétition, entre les surfeurs et surfeuses du championnat du monde (aussi appelé CT: Championship Tour). C’est à dire qu’une surfeuse remportera le même montant d’argent qu’un surfeur lorsqu’elle gagnera une compétition.

ÉGAUX PAR NATURE.

À PARTIR DE 2019, LES SURFEURS ET SURFEUSES RECEVRONT DES PRIMES DE COMPÉTITIONS ÉGALES SUR TOUTES LES ÉPREUVES CONTRÔLÉES PAR LA WSL."

Source: WSL

Une révolution qui sera mise en place à partir de la saison 2019 sur toutes les compétitions du championnat. Ces épreuves se déroulent partout dans le monde et pendant toute l’année. 

Source: WSL

  Cette annonce est particulière pour le surf mondial, très bien représenté par Stéphanie Gilmore, 7 fois championne du monde. L’Australienne s’exprime dans un article qui lui est dédié dans The Players Tribune. La tenante du titre parle de fierté et de bonheur mais aussi de ce que c’est d’être une femme dans ce sport: « Je me souviens juste être en train de penser: pourquoi mon titre de championne du monde vaut moins que le leur ? (celui des hommes) » Effectivement, les primes de compétition entre les surfeurs et surfeuses étaient loin d’être égales.

Cet écart est maintenant de l’histoire ancienne. Les primes seront exactement les mêmes car « le budget des femmes va augmenter » selon Johanne Defay, surfeuse professionnelle française et numéro 5 mondiale sur le CT. Les surfeuses seront donc récompensées comme les hommes (1ère place: 100.000$, 2ème place 55.000$, etc... Voir tableau de droite).

Par ailleurs, les surfeurs ne sont pas seulement rémunérés par les primes des compétitions qu’ils remportent. Les hommes, comme les femmes, sont également sous contrat avec des sponsors qui les accompagnent dans plusieurs domaines (financier, logistique, etc…).

Capture d’écran 2018-12-14 à 10.07.19.pn

Source: Règlement WSL

Ancienne répartition des primes de compétition entre hommes et femmes du CT (Championship Tour - première division WSL), championnat du monde de surf professionnel

Montage: Théo Vidal

La saison 2019 marquera le début d’une nouvelle ère pour le surf mondial, qui n’aurait sûrement pas pu être possible sans une saison 2018 cruciale et riche en rebondissements. 

L’été dernier, plusieurs commissions californiennes ainsi que le comité pour l’égalité des surfeurs ont agi. Ils ont réclamé l’égalité des primes de compétition entre les hommes et les femmes pour le Mavericks Pro, une épreuve du championnat du monde des grosses vagues (aussi appelée le Big Wave Tour, circuit contrôlé par la World Surf League), qui se tient en Californie. Après cette réclamation la WSL décide de retirer sa demande de permis d’organisation de l’épreuve, alors qu'elle l'a racheté pour 500.000$, donc de ne plus organiser cette compétition. Une manière de dire que l’égalité des revenus n’est pas dans leurs plans ? 

On connaît la suite: le 5 septembre 2018, la ligue annonce finalement la parité des primes de compétition entre les hommes et les femmes, non pas pour une, comme demandé en premier lieu par la comité, mais pour toutes ses compétitions.

Ce conflit reflète l’importance d’une telle décision car elle implique « des commissions qui dirigent 4 millions d’hectares de terres immergées », selon Mercury News, un comité qui milite pour cette parité et une des plus puissantes ligues sportives au monde. 

« CE SONT LES VALEURS QUE LA WSL VEUT PARTAGER »

 

  Cette parité est un symbole pour une ligue comme la WSL qui revendique être « profondément engagée dans le développement et le soutient du surf féminin . » C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils confirment avoir pris cette décision. Selon eux, l’égalité des primes de compétition entre les hommes et les femmes est un « objectif qui a toujours fait partie de la stratégie d’augmentation des investissements pour le développement du surf féminin. » Johanne Defay le confirme: « Ça a été un choix pris par les dirigeants de la WSL. Ils sont assez proches des surfeurs, ils se déplacent sur les événements si ils le peuvent. Ils nous ont dit que les filles ont tellement progressé ces dernières années que c'était important pour eux de nous montrer qu'ils nous soutenaient. » Ce n’est pourtant pas l’avis de Sabrina Brennan, fondatrice du comité pour l’égalité des surfeurs en 2016. Quand il est question de savoir pourquoi la ligue a décidé de mettre en place cette parité, elle est certaine que cela n’aurait pas pu être possible sans son implication plus tôt dans l’été. Pour rappel, l’américaine avait milité pour l’égalité des revenus sur la compétition du Mavericks Pro. Une campagne qui serait à l’origine de la mise en place globale de la parité selon elle: « Absolument. Ils (la WSL) ne l’auraient pas fait sinon. J’en suis 100% convaincue. »

 

LES JEUX OLYMPIQUES 2020: UN FACTEUR CLÉ

4.jpg

Caroline Marks, surfeuse américaine professionnelle | Hossegor, France - 2018  |  Photo: Théo Vidal ©

  En 2020 se dérouleront, à Tokyo, les premiers Jeux Olympiques de l’histoire du surf. Intégré en 2016 par le comité international olympique, le surf se doit de faire bonne figure pour sa première apparition historique dans l’élite des sports.

Est-ce pour cela que la WSL a décidé d’agir pour l’égalité des revenus entre hommes et femmes ? D’après plusieurs sources, c’est une des raisons principales. « Une évolution pour une question d’éthique » selon Aziz Bouchgua, sélectionneur de l’équipe de surf du Maroc. Et ce n’est pas Sabrina Brennan qui dira le contraire: « La WSL devait le faire. Les J.O c’est avant tout une compétition autour de l’égalité des genres. » Pour Stéphane Sisco, attaché de presse à la fédération française de surf (FFS) « l’accélérateur de tout ça c’est les J.O. Leur (WSL) slogan de campagne fait un peu sourire, « égaux par nature », car ça fait quand même plus de 40 ans que le surf professionnel existe et donc 40 ans que les hommes et les femmes n’étaient pas égaux. Alors que aujourd’hui, à 18 mois des J.O, ils le sont enfin. » Mais ça ne reste pas l’unique raison évidemment. La WSL a fait un choix, elle n’a pas été forcée d’évoluer vers la parité selon Johanne Defay car: « Ce sont les valeurs qu'ils (WSL) veulent partager alors ils sont obligés de passer par là si ils veulent être cohérents. » Pour la Française « le fait que le surf soit au J.O joue sûrement un rôle mais au delà de ça, la WSL reste avant-gardiste car le surf est un des premiers sports à égaliser tous ses prize money. » Même si cela ne semble pas être seulement grâce aux J.O, une reconnaissance olympique a forcément contribué à ce grand pas en avant vers l’égalité des revenus entre surfeurs et surfeuses professionnels.

« LA WSL MANIPULAIT TOUT EN COULISSE »

 

  La ligue qualifie l’égalité des primes de compétition entre hommes et femmes comme « l’ultime objectif ». Cette égalité fait partie d’une série de priorités établies depuis 2013, par la WSL , dans le but d’augmenter le développement du surf féminin.

Source: WSL

Avec la confirmation du calendrier 2019, la ligue affirme que « il a été possible d’accélérer l’annonce de cet objectif, qui avait été planifié. » Néanmoins, un tout autre combat a été mené par le comité pour l’égalité des surfeurs l’été dernier. Sabrina Brennan en témoigne: « En Juillet, nous avons rencontré Sophie Goldschmidt, la PDG de la WSL. Pendant cette réunion, les dirigeants de la ligue disaient des choses horribles en parlant de la qualité de surf des femmes, c’était moche… Mais le 5 Septembre, Sophie m’a envoyé un message me disant que j’allais être contente de l’annonce qui arrivait. » Une campagne menée avec persévérance par les femmes du comité (Bianca Valenti, Andrea Moller, Keala Kennelly, et Paige Alms), toutes surfeuses professionnelles de grosses vagues. L’avocate du comité, Karen Tynan, met l’accent sur la difficulté de cette opération: « Le plus dur c’était d’avoir quatre surfeuses solitaires en train de subir les fortes critiques de la WSL, qui faisait de vagues promesses pour la parité. Elles ont toujours refusé les compromis ou une quelconque attente. Ce fut très important. » Des aides extérieures ont aussi beaucoup compté dans cet aboutissement. Sabrina mentionne notamment les commissions côtières et des terres de Californie, mais aussi Grant Washburn (surfeur professionnel du Big Wave Tour) « sans qui tout cela n’aurait pas pu être réalisable. »

4.jpg
4.jpg

Tatiana Weston-Webb, surfeuse brésilienne professionnelle

Hossegor, France - 2018

Photo: Théo Vidal ©

Courtney Conlogue, surfeuse américaine professionnelle et vainqueur du Roxy Pro 2018 | Hossegor, France - 2018  Photo: Théo Vidal ©

Cependant, même si le comité a obtenu le résultat qu’il voulait, il reste un point négatif: la conférence de presse pour l’annonce de la parité. Faite en Californie, « il y avait seulement des surfeuses de la première division (CT) qui ne savaient pas de quoi elles parlaient. Elles n’ont même pas envoyé de messages ou fait quelque chose pour aider à en arriver là… », confie Sabrina Brennan, elle rajoute: « En plus, la WSL n’a même pas pris la peine d’inviter des surfeuses de la division des grosses vagues (Big Wave Tour) comme Bianca ou Paige qui elles ont milité… Ça m’a déçu mais je suis toujours très heureuse ! » De son côté, Johanne Defay complète en affirmant que « il n’y a eu aucune mobilisation ou contestation » de surfeuses professionnelles au sein de la WSL. Pour finir, plusieurs sponsors ont été contactés (Roxy et Hurley), dans le but d'en savoir davantage sur leur rôle dans cette décision. Ils n'ont pas voulu participer à l'enquête.

4.jpg

Vahine Fierro, surfeuse tahitienne professionnelle  | Hossegor, France - 2018 | Photo: Théo Vidal ©

  L’aboutissement de l’égalité des primes de compétition entre les hommes et les femmes dans le surf professionnel est donc le fruit de plusieurs campagnes. L’une planifiait de l’établir sans réelle date prévue, et a sûrement décidé de s’en occuper avec l’arrivée des J.O. Puis l’autre a permis d’accélérer ce plan, grâce à des surfeuses militantes obstinées. 

Une très belle avancée pour le surf mondial et ses athlètes, qui montre l’exemple aux autres sports de la planète.

 

  Cette mise en place aura certainement un grand impact sur les futures générations de surfeuses professionnelles. 

Johanne Defay prédit quelque chose de « génial ». Elle espère que cela arrangera la question du financement, qui a été quelques fois compliqué pour elle: « Je n'avais pas de sponsor principal et toutes mes primes passaient dans mes frais de déplacements pour mes compétitions. » Pour Sabrina Brennan, « le surf féminin ne sera plus jamais le même. » En effet, cette décision va permettre à plus de jeunes filles de pouvoir construire une carrière autour du surf professionnel car il y a désormais plus d’argent à se faire. 

Une révolution qui s’appliquera dès la saison prochaine, au Roxy Pro Gold Coast (Australie), en Avril 2019. Les surfeuses professionnelles du CT remporteront, à partir de cette épreuve, les mêmes primes que les hommes pour la première fois de leur histoire.

ouverture (1 sur 1).jpg

Tatiana Weston-Webb, surfeuse brésilienne professionnelle et une jeune fan  | Hossegor, France - 2018 | Photo: Théo Vidal ©

Une grande enquête réalisée par Théo Vidal ©.

Publiée le 20 Décembre 2018.

  • Black Instagram Icon
  • Black Twitter Icon
  • Black Facebook Icon

© Théo Vidal 2019

bottom of page